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DISRUPTIVE PERSPECTIVES

De par sa nature, la photographie est un médium d’exclusion. Limitées par leurs quatre bordures, les photographies omettent des portions du monde et réduisent l’infinie complexité des expériences vécues à une illusion en deux dimensions. Pour des populations marginalisées, l’absence de représentations dans la culture visuelle ne prend pas seulement la forme d’une exclusion formelle. La systématisation de cette exclusion – une existence largement en dehors de la norme, des bordures – a le pouvoir de délégitimer la place d’un individu dans le monde, sa propre identité individuelle, jusqu’à affecter les interactions sociales vécues. Jusqu’à récemment dans la conscience populaire, le genre et la sexualité demeuraient des concepts stables et binaires.

Disruptive Perspectives est une exposition qui se concentre sur la notion de genre, un aspect de l’identité humaine qui s’exprime et se comprend souvent à travers des indicateurs visuels. Les artistes exposés explorent, au moyen de la photographie, le genre en tant que langage vivant au sein duquel s’articulent une multitude d’identités, qui ne peuvent être caractérisées de manière appropriée par la simple opposition binaire masculin/féminin. Plutôt que d’interpréter l’identité comme fixe et invariable, les oeuvres présentées considèrent le genre comme une négociation constante façonnée par la psyché, le passage du temps et la relation complexe entre soi et les autres. En proposant de riches portraits de désires, de rêves et de difficultés, les travaux de Barbara Davatz, Zackary Drucker & Rhys Ernst, Jess T. Dugan, Alexandre Haefeli, Laurence Rasti, Leonard Suryajaya et Lorenzo Triburgo évoquent la lutte existentielle pour connaître sa propre identité véritable et de gérer petit à petit les diverses manifestations, publiques et privées, de son identité. En travaillant dans une époque complexe – alors que le spectre des différentes identités se diversifie et s’élargit, devenant de plus en plus visible et accepté, alors que dans la réalité des faits, l’égalité des droits reste encore hors d’atteinte – ces artistes naviguent dans un espace entre la validité et l’anonymat avec une grande sensibilité. En même temps, leurs travaux dévoilent des aspects de leur vie privée et celle de leurs sujets, et par cette volonté même, nous invitent à l’empathie. Tour à tour triomphantes ou tristes et bouleversantes, les œuvres choisies incluent le genre et la sexualité comme une panoplie de variations potentielles – qui reflètent pour chacun de nous les complexes influences des autres, de l’image et de soi.

Jess T. Dugan (*1986, Biloxi, MI) vit et travaille à Saint Louis, Missouri.

Jess T. Dugan s’intéresse aux représentations des communautés LGBTIQ* et a réalisé une collaboration avec le Dr. Vanessa Fabre, professeure à la Brown School of Social Work, Université de Washington à St Louis. Commencée en 2013, la série To Survive on this Shore – extrait de la chanson Talk to me now d’Ani DiFranco – est partie du constat que dans les médias et les arts, les représentations traditionnelles de la transsexualité et de la transidentité figurent très peu de personnes âgées en comparaison avec des personnalités trans* plus jeunes. Le travail de Dugan et Fabre se propose de remédier à cette absence : elles ont rencontré, interviewé et réalisé les portraits de plus de 80 personnes trans* âgé.e.s de cinquante ans ou plus. Les parcours sont très variés et révèlent la complexité de vivre selon un genre qui ne convient pas à son identité. Une tendance se détache toutefois : la plupart de ces personnes ont vécues selon les codes de leur genre biologique, ont eu des enfants, des carrières (parfois militaires), mais en approchant d’un certain âge, elles ont décidé de se libérer de ces contraintes et vivre enfin en accord avec leur identité de genre. Ce choix « tardif » peut notamment s’expliquer par la pression de la société – les communautés trans* ont davantage de visibilité et sont davantage respectées aujourd’hui qu’il y a une dizaine d’années. Si les interviews sont édifiantes, la sensibilité formelle et la tendresse qui émanent de ces portraits permet une empathie supplémentaire vis-à-vis de ces destinées. Dugan souligne ainsi que ces personnes maintenant âgées ont ouvert le chemin à plus de tolérance aujourd’hui à l’égard des transgenres, des transsexuels et d’autres personnes qui ne s’identifient pas selon un spectre binaire masculin-féminin : il s’agit par conséquent d’un hommage.

Dugan a obtenu un Bachelor en photographie au Massachusetts College of Art and Design en 2007, un Master en muséologie à Havard en 2010 et un Master en photographie à la Columbia College de Chicago en 2014. Elle a également fondé le Strange Fire Artiste Collective en 2015, qui soutient le travail d’artistes femmes, LGBTIQ* ainsi que ceux issus de minorités.

Zackary Drucker (*1983, Syracuse, NY) & Rhys Ernst (*1982, Pomona, CA) vivent et travaillent à Los Angeles.

L’œuvre vidéo She Gone Rogue nous projette dans une dimension parallèle où le temps, l’espace, l’âge et le genre se dissolvent dans des scènes oniriques. Zackary Drucker et Rhys Ernst créent dans She Gone Rogue la version trans*-féminine d’un conte classique. Après la fin d’une relation amoureuse, « Darling » (Zackary Drucker), profondément malheureuse, recherche du réconfort auprès de sa « Auntie Holly » (la comédienne transgenre et muse de Wahrol Holly Woodlawn). Au lieu de cela, elle se retrouve dans le monde du médium et prédicateur TV « The Whoracle of Delphi » (interprété par l’artiste performeuse queer Vaginal Davies). L’oracle s’adresse directement à la triste héroïne et lui permet de s’affranchir un instant de la réalité : comme les protagonistes d’Alice au pays des merveilles ou du Magicien d’Oz, « Darling » pénètre dans un monde magique de forêts enchantées qu’elle ne souhaite plus quitter, contrairement à Alice ou Dorothy. Sa personnalité commence à se multiplier et à se dilater – les Meshes of the Afternoon de Maya Deren servent ici de modèle. L’aventure visuelle se termine dans la maison de « Mother Flawless Sabrina » (interprété par Jack Doroshow, drag queen newyorkaise) et un vagin orné de diamants. La première de l’installation vidéo, produite par le Hammer Museum de Los Angeles, a eu lieu lors de la biennale Made in L.A en 2012.

Drucker a obtenu en 2007 un Master de photographie et médias au California Institute of Arts de Santa Clarita. Dans la série Relationship Drucker et Rhys Ernst ont documentés les changements physiques qu’ils ont vécus lors de leur transition entre 2008 et 2013.  Drucker est aujourd’hui une femme trans et Ernst un homme trans. Ernst a terminé en 2011 un Master en film et vidéo de la California Institue of the Arts. Drucker est la productrice de la web-série Transparent qui dépeint le quotidien d’un père de famille qui choisit de s’identifié comme femme. Ernst en est également le producteur et a réalisé son générique.

Lorenzo Triburgo (*1980, Bronx, NY) vit et travaille à New York.

La série Policing Gender de Lorenzo Triburgo aborde la problématique de l’incarcération de masse aux USA à travers une perspective à la fois métaphorique et queer. En effet, les personnes LGBTIQ* sont plus souvent victimes de propos discriminatoires et haineux, de violences et de persécutions – le souvenir des raids policiers effectués contre des bars gays et lesbiens dans les années 1950 et 1960 est encore bien présent dans les esprits. En plus de cela, des études montrent qu’en raison de leur genre ou de leurs préférences sexuelles, les personnes LGBTIQ* ont non seulement plus de risques d’être condamnées mais également d’effectuer des peines de prison plus longues pour un même crime que celles s’identifiant comme cisgenres et hétérosexuelles. Cette réalité est encore plus dramatique dans le cas de personnes LGBTIQ* de couleur. Les photographies de Triburgo ne figurent pas la réalité des prisons en soi, mais des drapés ou des vues aériennes où l’humain lui-même est absent mais où subsistent ses empreintes – c’est justement l’absence que l’artiste souhaite mettre en évidence ici. En étant incarcérées, les personnes LGBTIQ* disparaissent de l’histoire et de la société. Il s’agit donc d’une métaphore. Le rendu des tissus rappelle les portraits peints de la Renaissance où un grand soin était apporté aux apparats, puisque ce sont ces derniers qui attestent de la richesse et de l’importance de la noblesse représentée. L’absence de l’humain est alors d’autant plus criante.

Triburgo possède un bachelor de photographie et d’études genres à l’Université de New York en 2002, ainsi qu’un master à la School of Visual Arts de New York en 2005. Il a obtenu le Pride Photo Award d’Amsterdam en 2012 et œuvre beaucoup pour les causes LGBTIQ*. Il donne à ce sujet des cours en ligne pour l’Oregon State University.

Barbara Davatz (*1944, Zürich, Schweiz) vit et travaille à Steg.

Barbara Davatz a photographié pendant plus de trente ans des jeunes couples, qu’ils soient d’amoureux, d’ami.e.s ou de parents. Ce travail de longue haleine porte un regard tendre sur la diversité de ces hommes et de ces femmes, leur façon de se présenter et de se laisser photographier. Ainsi, As Time Goes By constitue un aperçu des identités de ces personnes et de leur évolution et, plus largement, un extrait d’histoire contemporaine. Le langage formel très rigoureux de ce travail permet d’autant plus de remarquer les changements encourus, parfois subtils : un même fond gris et neutre souligne les visages et les vêtements, révélant des bribes de l’identité de chacun. L’inspiration de ce travail provient de la rencontre entre la photographe et deux autres personnes, Nicola et Kurt, dans les années 1980. Lorsqu’elle les voit pour la première fois, les deux abordent une coupe blonde en brosse et des vêtements noirs. Par la suite, Davatz se concentre sur douze couples qu’elle présente dans une approche conceptuelle simple et claire. Elle renouvelle cette expérience sur un intervalle de plusieurs années – soit en 1982, 1988, 1997 et 2014. Certains couples se sont séparés, d’autres se sont formés, de nouvelles personnes sont apparues, et dans certains cas, ces couples sont devenus des familles.

Davatz est née aux États-Unis et revient en Suisse en 1963. Elle a appris la photographie à la Kunstgewerbeschule de Zurich (1965–68). Depuis 1968 elle a travaillé en tant que photographe freelance, et a réalisé de nombreuses commissions pour des magazines, la publicité, le cinéma et des diaporamas, se spécialisant dans les portraits. Elle réalise également des travaux personnels, notamment des portraits conceptuels et des séries de paysages.

Leonard Suryajaya (*1982, Medan, Nord Sumatra, Indonesien) vit et travaille à Chicago.

Le travail de Leonard Suryajaya s’inspire de l’histoire complexe de ses racines : il a grandi en tant que citoyen indonésien de confession bouddhique d’origine chinoise dans un pays à majorité musulmane. À partir de ce contexte culturel composite et codifié, l’artiste queer explore dans son travail des questions de fond sur les notions d’intimité, d’orientation sexuelle ainsi que le sentiment de non-appartenance – de se sentir étranger à son environnement. L’artiste utilise comme point de départ son propre corps et son apparence comme champs de bataille afin de remettre en question les différentes pratiques culturelles d’un monde globalisé. Ses compositions très denses se rapprochent de performances où sa famille et son partenaire sont mis en scène de manière tout à fait singulière. Les couleurs et les motifs abondent dans une certaine confusion et créent de véritables tableaux vivants. Cela lui permet de transmettre sa vision du quotidien et du monde, où se superposent une multitude de codes culturels et trahissent la tension qui peut exister entre sa propre identité et les attentes de la famille et de la société.

Après un bachelor d’arts visuels et vivants en 2013 à la California State University puis un master en photographie à la School of the Art Institute of Chicago en 2015, Suryajaya a obtenu une bourse de la fondation Robert Giard en 2016 et le prix Claire Rosen et Samuel Edes pour les artistes émergents en 2015.

Alexandre Haefeli (*1992 in Santa Monica, CA) vit et travaille à Lausanne et Paris.

The Company of Men est un travail d’Alexandre Haefeli centré sur la figure de l’homme et la représentation de sa sensualité. Si la volupté est un thème souvent représenté à travers des nus féminins dans notre société, les portraits d’hommes dénudés et lascifs sont bien plus rares. Se pose alors la question de l’érotisme masculin, de la célébration du corps des hommes et de l’iconographie qui en découle. Haefeli s’intéresse notamment à la notion de l’éphèbe et se joue avec humour des codes de ces représentations : les hommes de The Company of Men semblent délicats, malicieux et sensibles, ils sont entourés de fleurs, auréolés d’un nimbe astral, exhalant des qualités habituellement considérées comme féminines. Ce qui crée une distance entre le travail de l’artiste et les représentations masculines traditionnelles, accentuée peut-être par l’explicité de certaines images. Mais les attributs masculins – souvent rapprochés de la virilité – fluctuent selon les époques, les lieux et les cultures, il ne s’agit nullement d’un concept universel immuable et figé. Cette série nous rappelle par conséquent qu’il est possible de vivre et d’exprimer son identité d’homme hors des clichés généralement associés à la virilité.

Haefeli a terminé son bachelor de photographie à l’ECAL en 2015. Il a exposé son travail au Musée de l’Elysée de Lausanne, au Festival Voies Off des Rencontres d’Arles, à la Ballery de Berlin. En 2016, il a obtenu le Swiss Photo Award (catégorie libre) et le Creative Award for Personal Print de Londres.

Laurence Rasti (*1990 in Genf, Schweiz) vit et travaille à Lausanne.

En 2007, l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad prononce un discours à l’Université de Columbia dans lequel il annonce qu’il n’y a pas d’homosexuels en Iran. Cette phrase est également le titre de la série de Laurence Rasti. Cette affirmation ne reflète pourtant pas la réalité de la société iranienne : les homosexuels existent bel et bien, bien que les rapports, même consentis, entre personnes du même sexe soient passibles de la peine de mort. Peu de choix s’offrent alors à eux s’ils sont découvert. Il leur faut fuir ou entamer une démarche de réassignation sexuelle – les transsexuels et leur sexualité semblent davantage tolérés (bien que difficultés et dangers existent toujours). Ainsi, s’il n’y a pas d’homosexuels en Iran, c’est parce qu’ils demeurent invisibles ou ont fui le pays. Elle-même Suisse d’origine iranienne, Rasti a capturé les tendres portraits d’exilé.e.s iranien.ne.s à Denizil en Turquie, où ils et elles transitent souvent. Malgré son contexte tragique, la série inspire peu de tristesse. Ces personnes ne portent pas les signes formels de leurs drames personnels, mais ont au contraire des gestes affectueux les unes envers les autres. Ceux qui préfèrent garder leur anonymat ont le visage caché par des ballons et tissus colorés qui protègent leur identité de manière poétique et sensible. Garder leur identité secrète rappelle que leurs vies ont été menacées et que se cacher était une question de vie ou de mort. Cependant, ce n’est pas dans l’obscurité qu’ils se cachent ici : l’artiste à travers ces éléments colorés souhaite transmettre l’espoir de ces individus, puisque, par leur fuite, ils pourront bientôt vivre leurs amours au grand jour. Il n’y a pas d’homosexuels en Iran est un message d’espoir.

Rasti a fait ses études à Genève au CFPAA et à l’ECAL à Lausanne où elle termine un Bachelor de photographie en 2014. Elle a également remporté le prix Aperture Portfolio Prize en 2015 et le Swiss Design Award en 2016.

Télécharger le texte de salle complet ici.

Cette exposition est co-curatée par Nadine Wietlisbach, directrice du Photoforum Pasquart à Bienne et Allison Grant, curatrice adjointe des expositions et de la pédagogie au Museum of Contemporary Photographie au Columbia College de Chicago. L’exposition sera présentée simultanément dans les institutions des curatrices.

Une publication complétera l’exposition avec les contributions des artistes ainsi que des textes de Meredith Talusan, Geneva Moser et un avant-propos d’Allison Grant et Nadine Wietlisbach. La publication Disruptive Perspectives est disponible dans notre shop à partir du 21.09.2017.

Lorenzo Triburgo a présenté sa série Policing Gender durant le queer fear, queer_feministisches politfestival de Berne, le samedi 23 septembre.

Vue de l’exposition Jess T. Dugan © Julie Lovens

Vue de l’exposition Zackary Drucker & Rhys Ernst © Julie Lovens

Vue de l’exposition Lorenzo Triburgo © Julie Lovens

Vue de l’exposition Barbara Davatz © Julie Lovens

Vue de l’exposition Leonard Surayajaya © Julie Lovens

Vue de l’exposition Alexandre Haefeli © Julie Lovens

Vue de l’exposition Laurence Rasti © Julie Lovens

L’exposition est soutenue par :

ERNST UND OLGA GUBLER-HABLÜTZEL STIFTUNG